Le tango, musique métisse qui a des origines noires, notamment rythmiques, est né à la fin du XIXème siècle dans la région du Rio de la Plata, énorme estuaire du Rio Paraná et du Rio Uruguay à cheval entre l'Argentine et l'Uruguay.
C'est dans les faubourgs miséreux des zones portuaires de ces deux pays, d'un côté la ville de Buenos Aires, de l'autre la ville de Montevidéo, qu'est né et s'est développé la musique et la danse que l'on appelle aujourd'hui "tango porteño". De par sa localisation, le tango a absorbé toutes les influences qui passèrent à sa portée dans le Rio de la Plata, intégrant et digérant les apports les plus divers, notamment ceux d'une émigration massive. Le tango porteño n'a cessé jusqu'à aujourd'hui de se transformer et d'enrichir sa structure rythmique, mélodique et chorégraphique.
À ses débuts, le tango porteño était joué à la flûte, guitare et violon. Début du XIX siècle arriva le bandonéon, sans doute apporté par des émigrés brésiliens ou allemands. Le bandonéon s'intègre à l'orquesta típica qui apparaît vers 1911. Cet orquesta típica trouvera sa forme définitive sur la base du piano et des violons, auxquels peut se joindre une contrebasse et quelquefois une batterie.
Ce qui fait le tango, c'est cette façon particulière de suspendre la mélodie, d'ornementer, d'accentuer, de placer les tensions-détentes de ralentir ou de faire traîner la mélodie par le son du bandonéon. Au delà des styles et des écoles qui ont marqué l'histoire du tango, il y a cette manière commune d'exprimer et de sentir la musique qui trace une ligne directe entre les premiers tangos d'Angel Villoldo et ceux d'Astor Piazzolla.
Le tango n'est pas seulement la musique et la danse, c'est une culture à part entière avec ses poètes, ses écrivains, ses musiciens, ses orchestres, ses chanteurs, ses chanteuses (liste non exhaustive) et une vie étroitement liée aux évènements politiques et sociaux de l'Argentine mais également du monde.
La danse appelée "tango argentin" se compose en réalité de plusieurs danses (la milonga qui est à l'origine du tango, le tango, la valse argentine) que l'on peut danser dans de nombreux et différents styles dont les principaux sont : le style "milongueros" caractérisé par "l'abrazo" et "l'ocho cortado", le style "canyengue" marché et sautillé, le style "tango de scène" avec ses innovations chorégraphiques, ses sauts, le style "tango salon" sobre, élégant et feutré.
Le tango dansé, organisé autour d'une structure codifiée est composé d'une infinie de combinaisons de quatre pas qui ont données naissance à des structures élémentaires. Ce n'est pas là le moindre de ses paradoxes car c'est au sein de ces structures que prend source la richesse de l'improvisation et du feeling, cette extrême liberté qui permet une infinie de combinaisons.
Le tango argentin est une danse d'improvisation, tout le plaisir réside dans la surprise infiniment répétée des figures et des pas ou aucune séquence n'est figée. Contrairement à l'idée reçue selon laquelle "l'homme guide et la femme suit" on peut dire que l'homme initie le mouvement et que la femme entre dans ce mouvement. Quelque soit le style, l'initiation du mouvement par l'homme n'est jamais directifs ni violent, pas de traction du bras, pas de pichenette, pas de contraction, c'est une intention subtile. L'essentiel réside dans la position de l'un par rapport à l'autre, de la clarté de la direction, de l'accompagnement à partir du buste.
Hier presque disparu, aujourd'hui en pleine recrudescence, le tango argentin, depuis plus d'un siècle a réussi à montrer son incroyable résistance à survivre et à séduire.
Notre civilisation dite moderne engendre des corps sans grâce naturelle dépourvus de capacités sensorielles. Ceux et celles qui souhaitent retrouver les sensations corporelles trouveront dans le tango argentin un moyen d'exprimer les émotions de la vie dans une danse partagée.
Encré dans la terre dans le même temps où le haut du corps s'étire vers le ciel, le tango argentin permet de sentir son corps se déplacer dans l'espace et de retrouver les possibilités naturelles de son corps, souplesse, fluidité et précision. Improviser une danse sur un tango argentin nécessite une écoute mutuelle, une attention extrême, une capacité à saisir l'opportunité de l'instant mais également une grande sincérité.
Sensuel mais jamais vulgaire, élégant sans être figé, parfois démonstratif sans être racoleur, le tango argentin est un condensé du bon goût.
On n'apprend pas le tango, on devient tango.
Patrick Rousseau (easydanse.com) danseur et enseignant.